23 Déc Ella Maillart où le récit de la plus grande exploratrice du XXème siècle

On disait d’elle qu’elle était « une femme bottée de mouton, le teint cuit par l’altitude ou le vent du désert, qui explore des régions inaccessibles ». On ne savait pas encore que plus qu’une simple baroudeuse elle deviendrait la plus grande aventurière du 20ème siècle. Pendant presque 30 ans, entre 1925 et 1952, la suissesse explorera l’Est du monde, d’abord le Caucase puis l’Asie, comme aimantée par cette région. Des aventures simples mais physiquement rudes qui l’amèneront vers un voyage intérieur bouleversant. Championne de voile puis de ski avant d’être une photographe, écrivaine et reporter reconnue dans le monde entier, découvrez l’épopée d’une femme dont les récits traversent les âges (tout comme les jeux de son frère Colin) : Ella Maillart !

ELLA MAILLART Des jeux olympiques aux montagnes du Caucase

Il faut s’imaginer la Suisse du début du 20ème siècle. Ella, jeune bourgeoise, s’ennuie dans sa grande villa en regardant sa montre au mécanisme complexe, comme tout citoyen helvétique qui se respecte. À sa fenêtre s’étale, ronronnant, celui qu’on appelle « Le Léman ». Attirée par le lac comme on peut être attirée par le vide, Ella, bien loin des clichés de la petite fille bourgeoise de l’époque veut apprendre à barrer. Souhaitant devenir capitaine de son destin plus rien ne l’arrête. L’été Ella tire des bords sur le lac, l’hiver elle dévale les pistes de poudreuse. Quelques années plus tard, elle défend le drapeau suisse aux quatre premiers championnats du monde de ski alpin avant de participer aux Jeux Olympiques de Paris en 1924. C’était il y a 100 ans donc. Elle fut la seule femme et la plus jeune skippeuse à concourir lors de cette épreuve de voile en solitaire.

Voile, grimpe, glisse, Ella a besoin de mouvement. En 1930, grâce à la veuve de Jack London, qui lui prête l’équivalent de 200 euros, elle répond à l’appel de la forêt* russe. Avec, entres autres provisions, un saucisson, une motte de beurre et un dictionnaire de russe, elle part à l’aventure. De Moscou à Odessa en passant par Sotchi, elle découvre une jeune génération qui tente de survivre au cœur de l’URSS. Une société sacrifiée qu’elle décrira dans son premier ouvrage « Parmi la jeunesse russe ». Pour rentrer en Suisse, elle décide de traverser le Caucase à pieds. Cette expédition en Asie centrale fut la première d’une longue liste. Après la Russie stalinienne, la jeune exploratrice est envoyée en reportage en Mandchourie, en Chine, occupée à l’époque par le Japon.

Deux femmes, une Ford (et un peu de morphine) sur les routes afghanes

Reporter accomplie, photographe expérimentée et ethnographe en devenir, Ella Maillart continue de rêver d’Orient. En 1939, à l’aube de la deuxième guerre mondiale, elle décide de partir sur la route avec Annemarie Schwarzenbach, une journaliste suisse, morphinomane, lesbienne et rebelle. « Sous la masse des cheveux courts la tête semblait trop grande, trop pleine d’idées pour une nuque si frêle » écrira Ella sur Annemarie. Comme Thelma et Louise 30 ans plus tard (et sans meurtre), elles partiront en Ford, libres et sans restrictions, à la conquête d’un pays écorché : l’Afghanistan.

Dix-huit chevaux, une machine à écrire et une roue de secours, les deux jeunes femmes sont prêtes à rouler jeunesse. Plus qu’un reportage, « ce voyage d’étude doit nous aider à atteindre notre but : devenir enfin des êtres conscients, capables de répondre d’eux- mêmes » écrira Ella Maillart dans « La voie cruelle » qui relate son périple afghan. Ensemble, elles découvriront un pays aux confins de l’Orient, tiraillé en tradition et modernité, usé par les vents chauds du désert.

En jupe longue et chemisette, Ella et Annemarie atteignent les mystérieuses montagnes afghanes, bivouaquant dans le désert rocailleux devant les yeux éberlués des locaux. « Le présent, c’était notre tente grise au pied d’un talus, et notre pelouse dont le vert faisait ressortir le pelage brun-rouge de petites vaches. De l’autre côté de l’eau, deux parois de falaises se rencontraient à angle droit, cannelées, érodées et dentelées en forme de châteaux fabuleux… Sous les flèches du soleil couchant, ces parois devinrent une vision veloutée, une flamboyance provenant d’un monde de légende. » raconte poétiquement Ella Maillart.

En plus d’une expédition bouleversante cette route afghane est un vrai voyage initiatique. En partant avec Annemarie Scwharzenbach, Ella Maillart pense éloigner son amie de l’addiction aux drogues. C’est un échec cuisant mais source d’une ouverture spirituelle qui changea la vie de l’exploratrice. Avec ce voyage en profondeur, elle réalise que l’aventure en plus d’être culturelle et physique est aussi intérieure. Nos aventures nomades nous apprennent à connaître le monde et ceux qui le peuple, mais ne nous apprennent-elles pas, in fine, à connaître nos limites et nos talents ? Quand on vous dit qu’il faut oser ! #jyvaimaisjaipeur

*très beau roman de Jack London que la rédaction vous conseille.

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